dimanche 31 janvier 2010

« Alain Badiou et le miracle de l’événement » par Daniel Bensaïd


La taupe est myope, c’est bien connu. D’être passée trop souvent de l’obscurité à la lumière aveuglante du jour ? Ou pour se défendre de cet éblouissement ? Peut-elle oublier l’instant du jaillissement, et ce qu’il fallut d’effort pour en arriver là ? Le monticule de rejets où elle émerge en témoigne : pas de percée libératrice sans préparation têtue.


Marx a commis l’imprudence d’annoncer le dépérissement de la philosophie, réalisée dans l’accomplissement de son devenir stratégique : il ne s’agissait plus seulement d’interpréter le monde, mais de le changer. Alain Badiou propose, au contraire, de refaire aujourd’hui le geste philosophique par excellence, un « geste platonicien », qui s’oppose aux tyrannies de l’opinion et aux renoncements de l’anti-philosophie. Il entend ainsi relever la philosophie des abaissements devant les « pensées fascinantes » qui l’ont subjuguée : « La pensée scientifique a donné lieu à l’ensemble des positivismes, la pensée politique a engendré la figure d’une philosophie d’État, l’art enfin a rempli une fonction d’attraction singulière depuis le XIXe siècle. Fascinée, captée, voire asservie par l’art, la politique ou les sciences, la philosophie en est venue à se déclarer inférieure à ses propres dispositions. » (« Entretien », Le Monde, 31 aout 1993) (Lire la suite)

mercredi 13 janvier 2010

Daniel Bensaïd (1946-2010)


Une grande figure du marxisme, intellectuelle et militante, vient de s’éteindre. Un hommage lui sera bientôt rendu sur le site du séminaire, sur lequel deux textes sont d’ores et déjà disponibles


mardi 5 janvier 2010

« Le déni du social. Deux exemples contemporains : Abensour & Rancière » par Franck Fischbach

L’un des enjeux majeurs auxquels doit faire face une réflexion se situant dans le domaine de la philosophie sociale est de déterminer les rapports entre la philosophie sociale et la philosophie politique, c’est-à-dire, en définitive, les rapports entre la réalité sociale et la politique à la fois comme les institutions politiques et la pratique politique. C’est une question qui sera certainement abordée ici à plusieurs reprises et qui fera sans doute l’objet de débats durant ce colloque, mais je voudrais d’emblée en dire quelques mots. J’ai moi-même été tenté d’approcher d’une façon assez polémique le rapport de la philosophie sociale à la philosophie politique [1]. Cette posture polémique est très largement liée au diagnostic qu’on peut faire du rôle qui a été celui de la philosophie politique en France, disons depuis le début des années 80. On a alors pu assister à l’orchestration d’un retour de et à la philosophie politique : certains prétendaient alors rétablir la philosophie politique dans sa pureté philosophique, en la détachant de ce qui n’est pas elle (à savoir, essentiellement, les sciences sociales, et le marxisme compris comme le relai des précédentes dans la philosophie), et en la recentrant sur des concepts bien à elle – tels les concepts de loi, de droit, de souveraineté, de personne (au sens juridique du terme), des concepts qui ont amené avec eux et qui ont projeté sur le devant de la scène ceux d’Etat de droit, identifié à la démocratie libérale telle qu’elle existe, et de Droits de l’homme comme critère de légitimité ultime, absolu, anhistorique et universel. Ce retour de et à la philosophie politique était en même temps, et sans doute d’abord, une manière de réagir contre les idées dominantes de la période précédente à laquelle il était reproché d’avoir procédé à une dilution des idées pures de la pensée politique dans les sciences sociales et historiques. Là est le point fondamental qui me fait juger que ce retour de et à la philosophie politique a essentiellement été une entreprise de restauration et de réaction, au sens politique des deux termes. Ceux qui, entre temps, n’avaient en réalité jamais cessé de faire de la philosophie politique, de pratiquer une pensée philosophique affirmant et revendiquant un lien irréductible à la politique, voire une immanence de la politique à la philosophie – je pense notamment, parmi beaucoup d’autres, à des gens comme Etienne Balibar ou Jacques Rancière – furent évidemment assez surpris (c’est le moins qu’on puisse dire) de s’entendre dire que leurs travaux avait participé d’une occultation de la philosophie politique, et d’une soumission de la philosophie politique à ce qui n’est pas elle. (Lire la suite)


[1] F. Fischbach, Manifeste pour une philosophie sociale, Paris, La Découverte, 2009, notamment l’Avant-Propos et le Chapitre 2.