Pour des raisons conjoncturelles pas toujours compatibles entre elles du point de vue idéologique et politique (proto-millénarisme bas de gamme et pur opportunisme éditorial d’un côté, renouveau de radicalité désentravé du paradigme « réellement existant » de l’autre), l’utopie semble connaître une certaine vogue. La récente réédition de Traces, ouvrage court et
apparemment secondaire dans l’œuvre d’Ernst Bloch, est peut-être à mettre sur le compte de la récente mode. Traces mérite pourtant une attention toute particulière au moins pour trois raisons : d’abord parce que son auteur a produit l’une des œuvres (l’œuvre ?) les plus considérables et les plus systématiques de ce siècle concernant l’utopie ; ensuite, parce que ce petit livre, peut-être du fait de son titre (peu explicite) et de sa composition (j’y viens), se trouve dans l’ombre des grandes œuvres que Bloch a clairement consacrées à l’utopie, à savoir, en particulier, L’Esprit de l’utopie, qui le précède de quelques années, et Le Principe espérance travail gigantesque qui reprend, systématise et redéploie le reste de l’œuvre au point de la satelliser. Enfin, Traces, qui fait l’effet d’un véritable bazar de récits et d’histoires en tous genres, présente un tour provocateur et résolument ouvert. Rappelons que Traces entame une troisième vie : s’il y a un Spuren initial chargé, après 1917, du moment et de l’espoir d’un processus révolutionnaire enfin abouti et si en 1959, ce morceau d’exubérance progressive n’a plus, et depuis un moment, l’histoire pour lui, surtout quand Bloch s’est par ailleurs lui-même compromis politiquement, notre moment, lui, peut être celui d’une renaissance pour les raisons déjà évoquées et à condition de savoir ce que l’on souhaite réquisitionner par la lecture. Bloch philosophe d’une renaissance. Juste retour. (Lire la suite)
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