À s’en tenir aux commentaires récurrents sur les mouvements de grève dans les services publics, la conflictualité du travail serait désormais cantonnée à quelques « catégories privilégiées » (cheminots en tête). En fait, la réalité des conflits du travail en France demeure largement méconnue. Si l’intensité des grèves dans les entreprises s’est affaiblie au cours des trois dernières décennies, les conflits n’ont pas pour autant disparus du monde du travail. L’exploitation des enquêtes statistiques du ministère de l’Emploi tend même à montrer plutôt une hausse significative du nombre d’établissements touchés par des conflits sociaux entre 1998 et 2004. En mesurant les formes de conflictualité avec arrêt de travail (la grève de plus de deux jours, de moins de deux jours, le débrayage) et sans arrêt de travail (grève du zèle, refus d’heures supplémentaires, manifestations, pétitions), l’analyse permet de restituer la diversité et l’évolution des pratiques contestataires utilisées au quotidien dans les entreprises. Elle montre également comment s’articulent les formes individuelles de conflictualité (repérées par les sanctions subies par les salariés, mais aussi l’absentéisme ou les recours aux prud’hommes) et les formes collectives, et aussi comment ces registres se brouillent (par exemple, autour des refus d’heures supplémentaires). Ainsi peut-on comprendre à la fois les continuités dans la pratique de la grève et les transformations en cours, dans des secteurs marqués par différentes formes de précarité.
Sophie Béroud, Jean-Michel Denis, Guillaume Desage, Baptiste Giraud, Jérôme Pélisse, La Lutte continue ? Les conflits du travail dans la France contemporaine. Bellecombe-en-Bauges : Éd. du Croquant, 2008.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire